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Le blog du Muséum

Curieux de sciences
Planche de dessins Haeckel

Illustrations Naturalistes : Ernst Haeckel

Le 21 février 2022 par Guillaume Mallard

Peut-être avez-vous pu les admirer en 2018, en compagnie d’autres beautés, parfois très légèrement vêtu(e)s, lors de l’exposition Né(e)s de l’écume et des rêves au Musée d’art moderne André Malraux du Havre (MuMa) ? Ou bien peut-être encore au sein de l'exposition 150 millions d'années et des poussières au Muséum d'histoire naturelle ? Qui donc ?

Mais Discomedusae, Crinoidea, Siphonophorae, Asteroidea et Stephoidea voyons ! Derrière ces noms énigmatiques (et pas très faciles à porter) se cachent 5 magnifiques lithographies d’organismes marins, extraites des Formes artistiques de la nature d’Ernst Haeckel… Et dont le MuMa a fait don au Muséum !

Ces illustrations furent initialement conçues comme des images scientifiques, mais elles peuvent également être admirées pour leur beauté intrinsèque. Leur auteur ? Le savant allemand Ernst Haeckel.
 

Des sciences de la nature à l’Art nouveau

Ernst Haeckel (1834-1919), biologiste et professeur d’anatomie comparée à l’Université d’Iéna, ne se contenta pas de diffuser en Allemagne la théorie darwinienne de l’évolution, ni d’être l’inventeur du mot « écologie » (terme qu’il forge pour désigner l’étude des relations entre les organismes vivants et leur environnement).

Par ses dessins naturalistes étonnants, il inspira également les arts décoratifs et l’architecture de son temps, en contribuant à l’émergence de l’Art nouveau – un mouvement prônant la libération par rapport aux styles rigides du passé, en puisant à cette source intarissable de production de formes qu’est la nature. Les planches de Haeckel surent séduire des artistes (affichistes, architectes, décorateurs...) qui à la fin du XIXe siècle se mirent en quête de modèles inédits pour créer des ornementations faites de courbes élégantes. Toutefois, la beauté fascinante des illustrations de Haeckel ne doit pas pour autant nous autoriser à passer sous silence les accusations de fraude scientifique dont il a fait l’objet, ni les controverses liées à ses théories raciales fallacieuses, qui trouvèrent plus tard un écho dans le nazisme.

 

Planche de dessins Haeckel asteroidea

 

Asteroidea.E. Haeckel, Kunstformen der Natur, planche40.

Les astéries, bien plus connues sous le nom d’étoiles de mer, sont des échinodermes. Littéralement : peau (derme) d’oursin (ekhinos en grec). Couverts de plaques calcaires parfois épineuses, ces animaux benthiques ont une bouche au centre de la face de leur corps qui est en contact avec le fond marin. Ils se déplacent sur ce dernier en « marchant » grâce à de petits organes de locomotion appelés podia. Il existe de nombreuses espèces d’astéries (plus de 1 500 !). Leurs couleurs peuvent varier (elles sont parfois très vives), mais ces organismes ont toujours cette structure étoilée pentaradiée si caractéristique.

L’étude des organismes marins

Les recherches de Haeckel en zoologie et biologie marine le conduisirent des mers du Nord à celles des Tropiques. On lui doit ainsi la description et la détermination de milliers d’espèces, en particulier celles de ténus organismes unicellulaires de la famille des radiolaires (des zooplanctons), qu’il parvenait à dessiner à force d’observations par l’œil du microscope.
Planctons des profondeurs et de l’infra-visible, méduses diaphanes, chevelures subaquatiques ondoyantes apparaissent, sur fond d’aplats de couleur, telles des créatures mystérieuses et ambiguës. À quel règne de la nature peut-on les rattacher ? Animal ou végétal ? Proviennent-elles des abysses, ou de l’imaginaire de Haeckel ?


Aussi, ces « discoméduses » rappellent aujourd’hui des luminaires précieux, des lustres à pampilles de cristal ; ces siphonophores et crinoïdes évoquent des vases ornés de motifs complexes. Ou encore, ces stephoidea (zooplanctons de la famille des radiolaires) nous font penser à des pièces raffinées d’orfèvrerie. De telle sorte que l’on finit par se demander qui, de l’artiste ou du naturaliste, inspire l’autre.

 

Planche de dessins Haeckel stephoidea

 

Siphonophorae.E. Haeckel, Kunstformen der Natur, planche 17.

Les siphonophores sont des cnidaires, tout comme les méduses. Ils ont comme elles des propriétés urticantes. Malgré les apparences, ce ne sont pas des fleurs mais bien des animaux. Ou plutôt des colonies d’animaux minuscules, formant des super-organismes au sein desquels les individus se spécialisent pour assurer une fonction utile à l’ensemble qu’ils constituent.

Une « nature artiste »

Conscient de la dimension esthétique de ses travaux et animé par la volonté de faire connaître ces merveilles de la nature à un plus large public, Haeckel présente une sélection de 100 illustrations en couleur, qui seront publiées entre 1899 et 1904 sous le nom de Formes artistiques de la nature (Kunstformen der Natur). Dans la préface à cette compilation souvent rééditée, cet artiste-savant écrit :  « La plupart des reproductions qui suivent de ces organismes aux belles formes étaient jusqu’ici dissimulées dans des ouvrages rares et coûteux et peu accessibles aux amateurs. ». Cette publication, à laquelle sont empruntées nos cinq lithographies, contribua encore davantage à populariser son œuvre. 

 

Planche de dessins Haeckel crinoidea

 

Crinoidea.E. Haeckel, Kunstformen der Natur, planche 20.

Bien que ressemblant à des plantes subaquatiques, les crinoïdes, communément appelé « lys des mers », sont des animaux de l’embranchement des échinodermes. Comme leurs « cousins » les oursins et les étoiles de mer, les crinoïdes présentent une symétrie centrale d’ordre 5. Leurs 10 bras évoquent de longues plumes, et peuvent se déployer à travers les courants marins pour capturer le plancton, qu’ils ramènent ensuite vers leur bouche (au centre de leur structure étoilée).

Haeckel cherche à mettre en avant les symétries de la structure anatomique de ses sujets, et à créer un équilibre dans ses compositions. Chaque planche est consacrée à une espèce. Elle documente ses différentes formes, ou fait varier les points de vue sur un même individu. Différentes branches de l’évolution sont représentées : organismes marins de la famille des échinodermes (crinoïdes, étoiles de mer…) ou des cnidaires (anémones de mer, siphonophores, coraux et méduses). Mais aussi : de nombreux exemples de ces minuscules êtres brassés par les océans (radiolaires, diatomées, foraminifères…). Ils cohabitent, dans ce grand atlas résumant le monde vivant, avec fougères arborescentes, chauves-souris, colibris et antilopes. Autant d’êtres d’une foisonnante diversité, produits par une nature-artiste aveugle, et conservés par le mécanisme de la sélection naturel

 

 

Discomedusae. E. Haeckel, Kunstformen der Natur, planche 88.

Les discoméduses constituent une sous-classe de méduses, qui a été décrites par Haeckel en 1880. Elles appartiennent à l’embranchement des cnidaires, du grec knidè : « ortie », « urticant ». D’où l’appellation ancienne des méduses : « orties des mers ».

Une place de choix dans les collections du Muséum

La réserve des livres précieux du Muséum renferme déjà trois volumes de publications scientifiques illustrées et consacrées par Haeckel aux organismes marins – notamment sa Monographie der Medusen (1879-1881). Certaines de ces planches furent d’ailleurs reprises deux décennies plus tard dans les Formes artistiques de la nature.

Le fonds d’art graphique du Muséum du Havre conserve également un remarquable ensemble de représentations d’étoiles de mer et autres cnidaires. Parmi elles – stars parmi les stars –, les médusantes aquarelles sur vélin du havrais Charles-Alexandre Lesueur (1778-1846). Plusieurs d’entre elles furent d’ailleurs prêtées au MuMa à l’occasion de l’exposition Né(e)s de l’écume et des rêves.


Si Haeckel a pu s’inspirer des dessins de Lesueur et des écrits de son compagnon d’aventures en terres (et mers!) australes François Péron (1775-1810), il contribua aussi à les tirer de l’oubli en reconnaissant en eux d’illustres prédécesseurs.

Étoile de mer, Nectria ocellifera (Lamarck, 1816). Charles-Alexandre Lesueur – vue aborale, vue orale et détails - aquarelle et crayon sur papier – 31,1 x 47,1 cm

Preuve que l’art et la science ne s’opposent pas, ce don témoigne de la coopération entre deux institutions muséales havraises (le Muséum d’histoire naturelle et le Musée d’art moderne), dont les collections et expositions peuvent entrer en résonance.

Guillaume Mallard

Remerciements :
Gabrielle Baglione, Cédric Crémière, Laurine Loisel, Alice Michonnet @ Muséum du Havre
Et bien sûr le MuMa pour le don de ces cinq planches !

 

Pour aller plus loin

Un peu de lecture :
Julia VOSS et Rainer WILLMANN. L'art et la science d'Ernst Haeckel. Édition trilingue allemand, anglais et français. Cologne, Taschen, 2017, 704 p.

Gabrielle BAGLIONE, Cédric CRÉMIÈRE, Jacqueline GOY et Stéphane SCHMITT. Méduses - Jellyfish - Charles-Alexandre Lesueur. Édition bilingue français-anglais. Paris, MkF Éditions, Le Havre, Éditions du Muséum, 2014, 168 p.

 

Quelques liens :
L’exposition du MuMa qui s’est achevée le 9 septembre 2018 :
http://www.muma-lehavre.fr/fr/expositions/nees-de-lecume-et-des-reves

Une version numérisée des Kunstformen der Natur de Haeckel est présente sur Gallica :
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b525055842

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